Zapallal/Yurinaki est un travail que vous avez réalisé au
Pérou, votre pays natal, après avoir étudié la photographie en
Allemagne. En quoi cette distance, à la fois géographique et mentale,
a-t-elle influencée votre vision de photographe et votre désir de mettre
votre pays en images ?Cette série ne résume pas ma vision du
pays, mais cherche plutôt à rendre compte de certains aspects du système
social, économique et politique centralisé du Pérou. Le paysage social
du pays a beaucoup changé entre 2000 et 2010. Déjà avant mon départ,
plusieurs aspects de la société contemporaine péruvienne m'intriguaient,
et la distance que j’ai prise en vivant à Berlin m’a permise d’aiguiser
mon acuité sur ces interrogations. Sans cette distance, j’aurais sans
doute eu du mal à les envisager clairement. Quand je suis revenu au
Pérou pour réaliser ce projet, j’ai ressenti une sorte de vide, qui a
heureusement disparu dès que j’ai rencontré les personnes que j’allais
photographier ; mon approche est alors redevenue plus intuitive et
fluide. La connexion que je peux établir avec mes sujets, c’est ça mon
« carburant ».
Votre image « Carretera » est ambivalente,
sur le fil, entre paysage et nature morte. Comme nombre de vos images,
elle hypnotise, c’est une image séduisante qui contient également une forte tension dramatique. Quel rôle
tiennent la couleur et l’éclairage dans l’élaboration de votre
esthétique ?Certaines de mes images peuvent être lues sur un
plan sensoriel. Le fait d’ajouter une source de lumière extérieure me
permet d’accentuer certains motifs (le rouge flamboyant des fleurs par
exemple), et de ramener à la surface des détails et des textures. La
plupart du temps, quand on aborde un sujet aux implications sociales, on
omet ou l’on cache une certaine beauté : celle qui affleure au travers
de certains détails et qui parle finalement de progrès, de soin, du
collectivisme. Je suis conscient des conditions de vie de ces
communautés et de la fragilité de ces environnements, je ne veux pas
ignorer ces aspects, et j’essaie toujours d’offrir d’autres
représentations de ces sujets (différentes de ce que les média
mainstream ont l’habitude de montrer), pour que l’on puisse les envisager dans une perspective nouvelle.
"Sarnai", comme la plupart de vos portraits, est posé. Comment travaillez-vous avec votre sujet ?Dans mon premier projet
Conditions,
beaucoup des personnes photographiées ont une apparence non
conventionnelle. Mais je ne choisis pas nécessairement la personne pour
son look. Il doit d’abord y avoir une connexion possible pour que
l’image se fasse. J’essaie de travailler de manière collaborative avec
le modèle, de créer des situations pour que naisse une intimité, afin
d'inviter le spectateur à partager ce moment et le renvoyer à son
acception de la tolérance.
Dans les deux séries, vous entremêlez portraits et natures mortes, comment interagissent-ils ?Ces
combinaisons m’aident à construire une narration personnelle. Certaines
des natures mortes ont été composées avec les mêmes idées et émotions
que certains des portraits ; d’autres natures mortes viennent compléter
mon interprétation du sujet en l’élargissant à son environnement
matériel, paysager.
Pourriez-vous nous parler de votre livre Conditions, dont la maquette permet au lecteur d’associer librement les images et finalement de composer une narration personnelle ?Conditions
traite de questions d’identité, de normes sociales et d’acceptation
mutuelle. L’identité de chacun est façonnée par la série des décisions
qu’il a prises au cours de sa vie, la double reliure du livre invite le
lecteur à expérimenter quelque chose de semblable, en regardant à son
rythme et associant librement les images entre elles.
Édition limitée, numérotée et signée par l’artiste.