Quel est le fil rouge qui parcourt les images de votre série Going Blank Again ?Les
photographies qui composent la série sont toutes des paysages pris à la
périphérie de Tokyo ou d'autres villes japonaises, sans personne, avec
toujours un vide au premier plan.
Ce qui rassemble ces images, c'est ce sentiment d'absence ou de perte que
l'on peut ressentir dans un paysage. Je dirai que c'est là le véritable
sujet de cette série.
La perte est un sujet qui a été historiquement
beaucoup traité par les artistes et les photographes,
Going Blank
Again s'inscrit dans cette thématique en l'inscrivant dans le Japon
contemporain.
Vous vivez à Tokyo. Les paysages que vous photographiez
contrastent fortement avec la densité de cette mégapole. Où se
trouvent-ils ? Les rencontrez-vous au fil de promenades ou sont-ils le
fruit de recherches ? Il y a quelques années, j'ai déménagé du centre de Tokyo vers la banlieue.
Après ce déménagement, je me suis mis à photographier
quotidiennement mon environnement avec un appareil numérique. Au fur et à mesure de mes
prises de vue, j'ai découvert dans mes images ce fil rouge dont on parlait précédemment,
et la série s'est imposée d'elle-même. J'ai alors commencé à rechercher
sur Google Earth les champs aux alentours de Tokyo où je pouvais me
rendre en train.
Dans l'histoire de la photographie japonaise, il y a une tradition de
photographie "errante", où le photographe, un peu comme le chien, flâne
et glane.
Il y a aussi une autre pratique de la photographie, qui
s'attache à un concept, un thème etc., un type de photographie qui
serait plus intellectualisé en amont.
Les deux pratiques semblent incompatibles mais je suis attaché aux deux.
Êtes-vous intéressé par l'histoire de ces territoires, par les causes
de ces changements ? Y retournez-vous pour observer et
documenter leur évolution ?
À vrai dire, la dimension documentaire ne m'intéresse pas vraiment. Le style architectural est assez similaire sur le
territoire japonais - Hokkaido mise à part. L'apparence de toutes les
nouvelles villes japonaises est très semblable, les évolutions dans le paysage ne sont donc pas patentes ; dans les banlieues, là
où je prends mes photos, il y a toujours un grand supermarché, et le
dimanche, une grande queue de voitures se forme devant. Un phénomène qui
est le même dans le monde entier, ou presque. Ces aspects ne
m'intéressent pas, je n'ai pas non plus envie de critiquer le visage actuel des banlieues. Ce que je
recherche, plutôt que de consigner un paysage archétypal de la
banlieue, c'est un paysage plus discret, intime.
Le titre de votre série Going Blank Again suggère la notion
de vide. Vous confronter à ces paysages est-il aussi une
manière de faire le vide, de vous laisser aller ? En d'autres termes,
est-ce que la recherche de ces territoires minimalistes et bruts,
constitue une façon de trouver un espace pour vous-même, d'y projeter
votre monde intérieur ?
J'essaie de ne pas penser aux aspects compliqués de la vie, un peu
comme un enfant (quoiqu'un enfant y pense sûrement !). C'est certain que
ce désir d'évasion motive ma pratique photographique. Dans la banlieue
de Tokyo ou celle des autres villes, il y a peu de paysages qui soient propices
au laisser-aller. C'est là ma quête artistique : rechercher le vide
dans un paysage.
C'est vrai, oui, qu'il y a toujours projection du monde intérieur de
l'artiste dans son œuvre. Je choisis de photographier un paysage parce
que quelque chose en lui résonne en moi au moment où je le vois, et puis il y
a aussi toujours ce qu'on découvre après la prise de vue, la part du
fortuit, qui constitue la richesse d'un médium tel que la photographie.
Cet écho que je trouve ou non dans un paysage tient à mon histoire
personnelle. J'ai entamé
Going Blank Again en même temps qu'une autre
série,
Nowhere. Ce qui sous-tend les deux, c'est la perte d'une forêt,
celle qui bordait la maison que j'habitais à Yokohama (en banlieue de
Tokyo) quand j'étais petit, elle était pour moi ce qui reliait
le monde extérieur à mon monde intérieur. À l'époque où je suis
entré à l'école primaire, la forêt a été rasée pour y construire une
autoroute. J'ai grandi en regardant ce processus de destruction. Le
temps a passé depuis, mais je sais que quand je cherche un paysage vide
dans la banlieue des grandes villes, il m'arrive de superposer le
paysage réel qui est devant mes yeux et celui que j'ai en mémoire.
L'appareil photo ne capte que la lumière, c'est une illusion sur la
surface plate du papier. Je connais ces limites du médium, mais malgré
cela, c'est la photographie qui me permet de retrouver une certaine
intimité avec le monde.
Image après image, je reconstruis ce monde perdu. C'est pour cela que je continue à photographier.
Édition limitée, numérotée et signée par l’artiste.