Dans quelles circonstances vous êtes-vous établi en Chine ?
J'y suis arrivé en octobre 2006 après un séjour de 2 mois en
Inde qui m'avait déjà convaincu que j'étais fait pour l'expatriation.
Vivre quelques années à l'étranger me paraît constituer une expérience
que tout le monde devrait envisager. C'est important, c'est une question
d'évolution.
L' Asie m'avait toujours beaucoup attiré et, après l'Inde, la Chine
m'est apparue comme un choix logique. J'avais toujours eu cette idée
d'apprendre un jour le chinois. En arrivant, je ne parlais pas un mot,
je ne comprenais rien, et c'est cela aussi que j'étais venu chercher.
J'étais enfin débarrassé des messages publicitaires, de la propagande
télévisuelle, des conversations entendues dans la rue et dans le métro,
bref de tout cet environnement verbal parasite qui fait toujours écran
avec la réalité quand on vit dans sa propre culture.
Il est souvent difficile de photographier son environnement immédiat,
de savoir regarder ce que l’habitude a usé. A contrario, en tant qu’Occidental établi en Chine, pays de contrastes saisissants, n’avez-vous
jamais le sentiment d’un trop plein d’images, de ne plus savoir où
porter votre regard ?
À mon avis, quand on vit à l'Étranger, il est surtout important
d'apprivoiser son environnement, d'apprendre à le connaître afin de ne
plus être victime de ce qu'on pourrait appeler l'exotisme du début,
c'est-à-dire la tentation de faire une photo motivée par quelque chose
qui paraît atypique. On a tous fait ce genre de photos et la presse en
est pleine. Mais en s'intégrant peu à peu à l'environnement on contourne
ce gouffre et on parvient à élaborer du travail qui a du sens et une
portée plus générale. J'habite en Chine, mais mon travail ne porte pas
sur ce pays. Que je sois ici relève pour une grosse part du hasard ; ce
n'est pas très important en fait.
Votre image "The Island" est emblématique de ces paradoxes visuels dont
regorge la Chine. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet « îlot »
étrangement posé parmi ces tours ?
Cette photo a été faite à Chongqing, qui est une ville que j'adore car
elle est toute en pente. L'image illustre bien ce qui se passe
aujourd'hui dans les villes chinoises, où les anciens bâtiments, s'ils
ne sont pas rasés, sont peu à peu cernés par des tours d'habitation
toujours plus hautes et toujours plus massives.
L' impression d'insularité est également renforcée par le fait que le
sommet de l'immeuble forme comme un jardin, qui contraste avec la barre
de béton en fond.
En Chine, ce genre de toit cultivé où les habitants bricolent eux-mêmes
une cabane ou une toiture de fortune est assez fréquent. Une bonne
partie de la population urbaine chinoise est une population urbaine
récente et les habitants, quand ils le peuvent, aiment à cultiver des
légumes autour des immeubles ou sur le toit. Un autre phénomène
intéressant aujourd'hui est la mode des "green roofs", qui a déjà
transformé les toits stériles de nombreux immeubles dans les grandes
villes américaines et qui est également en train de prendre en Chine,
notamment à Chongqing. C'est un phénomène nouveau qui rejoint ce que les
chinois n'ont jamais vraiment cessé de faire.
Dans votre série Under The Leaves, vous photographiez une
végétation luxuriante, qui semble couver quelque chose en silence et
dégager, même ceinte de béton, une sorte de farouche indépendance.
Comment avez-vous choisi ces sites ?
Under The Leaves est une série entièrement réalisée dans les
différents parcs du campus de l'Université de Wuhan, près duquel
j'habitais alors. Son extension géographique est donc très limitée. Les
prises de vues ont eu lieu exclusivement de jour, couvert ou pluvieux, dans ces moments où la végétation est baignée
d'une lumière diffuse et sombre, que les arbres et plantes semblent
être réellement doués de vie, acquièrent une présence, apparaissent
inquiétants, presque menaçants. Il fallait également que cette
végétation paraisse d'origine humaine, plantée, de manière à la
rapprocher de nous et à accentuer ce sentiment d'étrangeté et
d'angoisse, ce qui n'aurait pas été possible si j'étais allé dans un
espace entièrement sauvage comme la forêt. C'est pourquoi j'ai travaillé
dans des parcs et ai fait entrer dans certaines images des parties de
structures en béton, des artefacts humains.
Édition limitée, numérotée et signée par l’artiste.