Comment votre regard s’est-il porté sur ces petites boîtes ? Je les ai trouvées dans un coin d’une remise où elles donnaient l’impression de dormir depuis longtemps. Ça été l’amour au premier regard : je me suis senti comme un enfant qui découvre par hasard des bonbons cachés.
De ces petites formes fatiguées et toutes de guingois se dégageait quelque chose de profondément émouvant. J’ai pensé tout de suite à Giorgio Morandi, artiste que j’admire beaucoup, mais je me suis surtout dit : «
Mon dieu, je vais m’amuser énormément… ! »
Les boîtes se pressent les unes contre les autres. Il y a une harmonie, un équilibre, presque une solidarité de formes qui se crée entre elles. Comment les avez-vous assemblées les unes aux autres ? Parlez-nous de ces deux compositions.En effet, elles se pressent les unes contre les autres. Pour se rassurer ? Pour se tenir chaud ? Qui sait ? Elles sont sans doute modestes et timides.
J’ai commencé par faire plusieurs essais de compositions en utilisant différents fonds. En général, du fait que je travaille en argentique, cela prend pas mal de temps. L’avantage est que dans les allers-retours entre prise de vue et laboratoire on a le temps de bien réfléchir...
Les premiers résultats furent des natures mortes un peu trop anecdotiques et laborieuses. Un peu trop « Morandiennes » aussi.
Au fur et à mesure, un fond très simple, fait de deux planches en bois peintes en blanc, s’est imposé. Ensuite, pas mal d’espace vide autour du sujet pour créer du silence. Une ombre. Et à l’intérieur de ce champ d’ombre, les petites boîtes (et pour une des deux compositions, une petite « fraise » aussi) collées les unes aux autres dans une forme compacte : étrange citadelle imprenable où règne une sorte d’harmonie. De la nostalgie aussi, peut-être.
Votre œuvre s’attache à photographier des objets partageant une même modestie : petites boîtes de carton délaissées, serpillières usées, bâches de plastique élimées. Est-ce là une manière d’écarter la question du sujet représenté pour remettre au centre de l’œuvre, l’essence même de l’art photographique : la lumière et son pouvoir ? Vous avez parfaitement raison. La vérité est que la photographie, sauf rares exceptions, m’ennuie profondément. Pas assez de mystère, désespérément plate, trop étroitement liée au sujet. En photo malheureusement, le « quoi » est toujours plus important que le « comment ».
Faire de la photographie est devenu d’une simplicité extrême et comme dans ce vaste monde ce ne sont pas les sujets qui manquent, les choses ne s’arrangent pas vraiment. On nous gave littéralement.
Le sujet pour moi n’est que le point de départ, le prétexte. D’où peut-être le fait de choisir toujours des matériaux « pauvres » comme on choisirait des matières premières pour les transformer, à travers le processus d’élaboration, en produits finis où chaque détail compte. Et comme je ne suis ni peintre ni sculpteur, mais photographe, j’utilise la lumière pour les travailler. La lumière et rien d’autre. Pas de techniques de retouche de l’image donc. Jamais.
J’aime beaucoup la recherche, simple, artisanale en quelque sorte, et l’exploration des chemins un peu écartés et peu fréquentés qui mènent à des rencontres et à des découvertes inattendues.
Je suis très content quand, en tordant un petit peu le cou à la photographie, j’arrive à la bousculer et à la faire sortir un peu de sa rigidité constitutive : je peux l’obliger ainsi à montrer un autre coté du réel, celui qui, caché derrière, n’apparaît pas au premier abord. Le coté magique.
Édition limitée, numérotée et signée par l’artiste.