Pouvez-vous nous parler de cette zone de Qi Lihe que vous avez couvert avec ce travail ?Qi
Lihe est le nom d'un grand quartier qui se situe sur la périphérie de
Lanzhou. C'est la zone la plus pauvre de cette ville industrielle très
polluée du Nord-Ouest de la Chine. Le train express Shanghai - Urumqi
traverse souvent la ville, quand vous l'empruntez vous voyez d'un côté
les bidonvilles et de l'autre, les gratte-ciels et les centres
commerciaux. Ces développements récents sont la conséquence de la course
à la modernité des capitales de province.
Qui sont ces communautés auxquelles vous vous êtes intéressé ? Au
cours des dernières années, il y a eu un afflux très important de
familles migrant de la campagne vers la ville, pour la plupart provenant
de la préfecture autonome de Linxia Hui, située à trois heures au nord
de Lanzhou et où résident les minorités musulmanes Hui et Dongxiang.
Les
ancêtres des Hui étaient marchands sur la Route de la Soie,
majoritairement descendants d'Arabes et de Perses, qui sont arrivés en
Chine pour la première fois au VIIe siècle. Les Dongxiang sont proches
des Mongols, et en tant que groupe ethnique, se sont développés au
contact des peuples d'Asie Centrale qui les ont converti à l'Islam
sunnite, au cours du XIIIe siècle. Pendant des siècles, les Hui et les
Dongxiang ont cultivé les terres arides et peu fertiles autour de leurs
villages ancestrales. Au cours des dernières années, la désertification a
eu raison du sol et il est devenu quasi impossible de le cultiver. Des
milliers de familles se sont alors trouvées sans possibilité de
subsistance et sont parties vers Lanzhou dans l'espoir d'une vie
meilleure. La marginalisation au plan économique et éducatif rend leur
adaptation très difficile ; la plupart d'entre eux vivent dans une
pauvreté abjecte et une précarité difficilement supportable.
Comme dans votre projet antérieur Zheng Sheng – dans lequel vous
vous intéressez à un centre pour mineurs délinquants de Hong Kong – vous pénétrez ici une communauté assez
fermée dont vous parvenez à rendre des images empreintes d’intimité.
Comment travaillez-vous avec la communauté et les individus qui la
composent ?
Il est très important pour moi de passer beaucoup de temps à l’intérieur
des communautés que j’entends photographier. Je crois que c’est
indispensable pour gagner la confiance de ses membres et construire un
lien avec ses sujets. Pour mon projet
Qi Lihe, j’ai passé de nombreux mois à documenter la vie de la communauté. J'avais déjà expérimenté cela avec
Zheng Sheng,
travail pour lequel j’ai vécu dans le centre, mangeant la même
nourriture, dormant dans les
mêmes dortoirs, effectuant le même programme quotidien que les garçons.
Dans un cas comme dans l'autre, ce n'est pas toujours facile de rester
là, de savoir quand prendre une
image et quand s’abstenir, mais à la fin, ils m’avaient accepté et
c’était devenu normal pour eux de me voir là tous les jours. Pour cette
raison, je crois que j’ai pu produire des images honnêtes.
Votre photographie est très picturale. En tant que photographe,
quelle est votre relation à l’esthétique et à la séduction quand vous
composez une image ?
Je m’efforce toujours de faire des images poétiques, quelque soit le
contexte dans lequel je travaille. Patience et compréhension sont les
clés de mon processus de travail. Le style de mes images
provient de la connexion émotionnelle et de l’intimité que je tente
d’établir avec mes sujets et de mon implication vis-à-vis d'eux. À de nombreuses occasions, j’ai passé de longs moments à
attendre qu’un certain nombre d’éléments soient réunis avant de faire
l’image, retournant aux endroits encore et encore, attendant que ce
moment attendu arrive.
Édition limitée, numérotée et signée par l’artiste.