Comment décririez-vous votre style ?Dans le cadre de nos
productions, la notion de style nous importe assez peu, tout comme celle
d'auteur qui lui est associée. Notre nom, “My name is”, nous permet de
signer chaque projet comme une collaboration avec un client, un artiste,
etc, ("My name is John Doe", "My name is Artligue", etc.) et non pas
comme une création personnelle. C'est quelque
chose qui nous tient à cœur et que nous mettons en avant dans notre
manière de nous présenter (sur notre propre site notamment).
Ainsi,
on privilégie plutôt une démarche à un style: essayer de trouver une
réponse juste à une demande, un besoin, une problématique, en tenant
compte du contexte d'un projet, ses spécificités et son public; essayer
aussi de trouver un juste équilibre entre le fond et la forme. Le style
peut donc varier d'un projet à l'autre.
Maintenant, il y a peut être
certains éléments qui reviennent régulièrement dans notre production :
la volonté d'une certaine économie de moyen et un souci d'efficacité. Ça
peut passer souvent par une forte présente de la typographie.
Quelles sont vos principales sources d'inspiration (artistes, graphistes, autre) ? Tout…et c'est plutôt variable d'un jour à l'autre.
Que pouvez-vous nous dire sur les œuvres exposées chez ArtLigue ? Le point de départ de chacune des deux œuvres est une photo.
On
ne la montre pas, elle est remplacée par un rectangle figurant sa
présence, et par une description au-dessous. La description est une
description objective — pas d'interprétation — un peu frénétique et la
plus complète possible de tous les détails que contient l'image.
Au
départ de ce projet, nous avions retenu deux choses qui nous
intéressaient dans ce thème de la photo proposé par ArtLigue : la
première est le rapport que nous — My name is — entretenons avec ce
médium, à la fois en tant que consommateurs d'images mais aussi en tant
que graphistes et directeurs artistiques. Justement, en tant que
directeurs artistiques, nous manipulons des photos quotidiennement :
nous en utilisons, nous en fabriquons, nous les mettons en page, et nous
en consommons aussi beaucoup. Pour nous, l'image est un outil
indissociable d'un autre outil : le texte. Notre travail est souvent un
travail d'articulation de ces deux éléments : le texte et l'image.
La
seconde chose qui nous intéressait, c'est l'idée qu'une photo ne se
résume pas forcément à son sujet ou à l'action qu'elle capture. Elle
peut figer une quantité de détails que l'on ne remarque pas ou que l'on
ne saisit pas. Cette idée fonctionnait assez avec le travail de William
Eggleston (dont nous apprécions d'ailleurs particulièrement le travail);
dans ses images, derrière des sujets en apparence anodins et
ordinaires, se cachent beaucoup de choses. On peut voir les deux photos
que l'on a choisies comme : un tricycle, et un enfant avec un gilet
rouge… on peut aussi voir tout le reste.
Quel a été votre
processus de création pour cette œuvre ? Est-il à l'image de votre
démarche habituelle ? Votre mode créatif diffère-t-il selon la nature
des projets (artistiques, commandes, expérimentaux) ?D'habitude,
l'origine d'un projet est une commande à laquelle nous devons apporter
des réponses, et surtout une commande qui implique des besoins, des
contraintes, un contexte. L'inspiration et les envies visuelles que l'on
place dans le projet sont nourries par cette trame pré-existante. Le
message que nous mettons en scène — à travers une identité visuelle, un
projet d'édition, une affiche, une pochette de disque — ne vient au
départ a priori pas de nous. Quelque soit notre degré d'implication
dans un projet, il y a quelque chose qui pré-existe et qui vient de
l'extérieur.
De fait, le processus de création pour cette œuvre
était par nature différent de notre processus de création habituel. Dans
le cadre d'un projet comme celui pour ArtLigue, il y a cette différence
fondamentale pour nous qui est qu'il ne s'agit pas de construire une
réponse à un besoin mais de concevoir une image comme directement issue
de nos envies et de nos projections.
Après, quelque soit la
commande ou le support, notre processus est sensiblement le même:
beaucoup de discussions, beaucoup de questions, de doutes…
Nous
travaillons à deux justement dans l'idée d'un échange permanent, et avec
la volonté de se remettre en question le plus possible.
Quel regard portez-vous sur la création graphique actuelle ?La situation de la création graphique nous semble assez paradoxale.
Il
y a, d'une part, un contexte assez excitant: beaucoup d'excellents
studios, de très bons graphistes, de bonnes formations, des scènes
émergentes un peu partout dans le monde avec une large diffusion par les
blogs et les magazines. Mais il y a, d'autre part, le constat d'une
création graphique qui, bien que présente partout dans notre société —
packaging, affiches, logos, signalétiques, journaux, sites internet, etc —
peine à susciter de l'intérêt au-delà de son petit cercle d'acteurs et
d'initiés (en atteste l'absence de lieu dédié en France, notamment). Le
résultat est une production majoritairement pauvre et sans intérêt,
uniformisée voire automatisée, où la création est souvent étouffée,
soumise aux lois du marketing et de la communication. Il y a aussi une
absence cruciale de l'éducation du regard, et, par conséquence, une absence de culture du design.
Cela, entre autres choses, explique le manque de considération pour notre pratique.
Pour
vous, existe-t-il une frontière entre art et graphisme ? Si oui, où la
placez-vous ? Est-ce que le graphisme doit entrer dans le champ de l'art
ou en fait-il déjà partie ?En tant que My name is, nous assumons
assez bien la notion de commande qu'implique notre pratique et l'idée
d'être au service d'un message qui ne nous appartient pas (notion
présente dès le départ dans le choix de notre nom).
Cela nous exclut
plutôt du champ de l'Art. Certes, nous manipulons en partie les mêmes
outils et les mêmes langages, mais le moteur et la finalité sont
absolument différents. Nous sommes designers : nous concevons des choses
qui répondent à des besoins. D'ailleurs, comme nous le disions plus
haut, nous ne visons pas la dimension "d'auteur" dans notre
production, et préférons présenter les projets comme des collaborations.
De fait, la question d'une frontière entre art et graphisme ne se pose
pas vraiment dans le contexte de notre pratique du graphisme.
Édition limitée, numérotée et signée par l’artiste.