Vernissage le 14 novembre 2013

en présence des artistes !

Venez découvrir la nouvelle génération japonaise à la galerie, du 14 novembre au 28 décembre 2013.

ART LIGUE
9 rue des Arquebusiers
75003 Paris




Marc Feustel est commissaire indépendant, écrivain et blogueur. Basé à Paris, il est spécialiste de la photographie japonaise et auteur de Japon: un autoportrait, photographies 1945-1964.
Il est également l’un des fondateurs de Studio Equis, une organisation qui a pour mission de faire connaître la photographie japonaise en Occident. Il a été commissaire de plusieurs expositions dont Japon : un autoportrait, 1945-1964 (Setagaya Art Museum, Tokyo), Tokyo Stories (Kulturhuset, Stockholm) et Eikoh Hosoe: Theatre of Memory (Art Gallery of New South Wales, Sydney), Toshio Shibata : The Abstraction of Space (Galerie Polka, Paris). Il écrit un blog sur la photographie et les livres photo, (www.eyecurious.com ) et écrit régulièrement pour des revues de photographie dont American Photo, European Photography, Foam, Fantom, IMA, Some/things, The Eyes et Lensculture.


Entretien avec Marc Feustel

Tu développes depuis quelques années, au travers de ta structure, Studio Equis, des projets d'exposition ou de publication sur la photographie japonaise. Peut-on revenir sur ce qui fût pour toi le point de départ de ton intérêt pour cette scène ?
C'est arrivé alors que je travaillais chez l'éditeur Flammarion, dans leur département beaux-arts ; je suis venu les trouver avec le projet de faire un livre sur la photographie japonaise d'après-guerre. La raison de cette proposition n'était pas motivée par une connaissance approfondie du sujet, au contraire, c'était mon ignorance du sujet qui m'y a poussé, ce sentiment qu'en tant qu'occidental, nous n'avions que très peu d'opportunités pour accéder à ce territoire-là. A l'époque, on connaissait peut-être quelques grands noms de la photographie japonaise, guère plus.

J'avais un réel intérêt pour cette période spécifique, les années d'après-guerre sont sociologiquement fascinantes, ça a été l'époque d'une transformation totale de la société et je n'arrivais pas à comprendre pourquoi, étant donné la richesse historique de cette période et la particularité de l'univers visuel japonais, nous n'avions pas eu accès à ces images. C'est cette question qui m'a incité à réaliser ce livre.

Puis à mesure que le projet avançait et que je visitais le Japon et multipliais les rencontres avec les photographes, les éditeurs, j'ai commencé à acquérir une connaissance plus approfondie de la scène japonaise. Le livre a été publié en 2004, mais je n'avais pas vraiment de "plan" après sa sortie, je n'avais pas calculé où ce projet pouvait me mener. Puis les photographes que j'avais rencontré sont restés en contact et me sollicitaient pour faire des expositions ou des livres, ils avaient le désir de poursuivre la collaboration, et il leur semblait qu'il n'y avait que peu d'ouvertures en dehors du Japon pour montrer leurs travaux.

Comment est né Studio Equis ?
Progressivement, comme une réponse à ce désir de collaboration que nous sentions de la part des photographes japonais et à notre propre désir. Studio Equis est une organisation dédiée à la création et à la consolidation de ces liens. Il s'agit d'ouvrir les canaux de communication entre le Japon et l'Ouest en général. Basée à Paris, Studio Equis a été fondé à Londres, mais son ancrage géographique n'a pas réellement d'importance. Nous avons réalisé des expositions dans de nombreux territoires, y compris au Japon même. Au début, l'on se concentrait principalement sur la période d'après-guerre. Il y avait quelques figures établies parmi elles qui avaient eu de brefs moments de reconnaissance en dehors du Japon avant d'être à nouveau oubliées, des personnalités comme Kimura Ihei, Hamaya Hiroshi ou Nagano Shigeichi. Puis on s'est penché vers des figures plus contemporaines, telles que Toshio Shibata.

Et avant ce livre, quelle connaissance avais-tu du Japon ?
J'en savais très peu. Ce livre a vraiment été la porte d'entrée vers la photographie japonaise et vers le Japon pour moi. J'avais déjà visité le pays, enfant, et je crois que le Japon est de ces endroits qui ne laissent pas indifférent. On aime ou on déteste, et c'est un endroit d'obsessions. J'avais gardé quelques souvenirs de mes séjours pendant l'enfance, j'éprouvais une fascination à distance pour l'esthétique japonaise, la littérature, le cinéma. Mais c'est vraiment à travers la rencontre avec les photographes et la fréquentation du pays, plus que par des études universitaires, que j'ai acquis ma connaissance.


As-tu le sentiment que ce moment particulier où le livre est sorti, en 2004, un canal s'est ouvert de manière plus large entre le Japon et l'Occident ? On se rappelle d'autres initiatives, comme l'exposition de Rinko Kawauchi aux Rencontres d'Arles, présentée par Martin Parr, c'était une découverte pour le grand public. Y a-t-il eu selon toi une sorte de phénomène à cette époque, auquel toi aussi tu aurais participé ?
En fait, je crois que, comme l'histoire du pays elle-même, ce pont avec l'Occident s'est ouvert et levé de nombreuses fois. En terme de photographie, le Japon a une longue histoire. C'est un des premiers pays à l'avoir importée d'Occident où elle avait été créée. Il y a eu des moments où la photographie japonaise s'est exportée, dans les années 1970 par exemple, quand le MoMA ou l'International Center of Photography ont réalisé des expositions collectives (respectivement New Japanese Photography, 1974 et Japan : A Self-Portrait, 1979), ainsi qu’une exposition collective à Graz en Autriche et au Centre Pompidou, mais curieusement au lieu de constituer une brèche qui aurait ouvert sur un intérêt plus large, cette première ouverture s'est refermée aussitôt.

A la suite de cela, en effet, c'est au début des années 2000 que la passerelle s'est à nouveau faite. Une des pierres angulaires a été le livre de Anne Tucker, du musée des Beaux-Arts de Houston, c'était une sorte d'encyclopédie de la photographie japonaise qui nous mettait littéralement face à notre ignorance. C'était un énorme pas vers l'intégration de cette histoire dans notre compréhension de ce qu'est l'histoire de la photographie. Tout le monde ne s'en est pas rendu compte, mais ce livre a été décisif. Puis Martin Parr avec ses livres dédiés aux livres photo a attiré l'attention sur le livre photo japonais.

L'intérêt pour la photographie japonaise se manifeste de diverses manières, il y a ceux qui y accèdent par le livre, d'autres par l'exposition, par les grands noms ou par la scène émergente. Et puis il y a aussi plus de photographes japonais aujourd'hui qui partent travailler à l'extérieur : par exemple dans cette exposition, il y a Kenji Hirasawa qui est établi à Londres ou Ryo Suzuki qui s'est installé à Paris. Je pense que c'est aussi un facteur de meilleure compréhension de ce qu'est la photographie japonaise dans son histoire, dans sa diversité, cela permet d'élargir la perspective et voir au-delà de Daido Moriyama ou Araki.


Si la photographie japonaise nous apparaît encore comme un territoire à part, penses-tu qu'il y ait une sorte d'insularité stylistique ? Y aurait-il des particularités propres à la production contemporaine japonaise ? Le cas échéant, comment les formulerais-tu ?
Oh, c'est une question difficile. Une chose à laquelle j'essaie de me tenir quand il s'agit de traiter de la photographie japonaise c'est d'éviter les généralités. La plupart du temps cela fait sens de grouper ces photographes ensemble sur la base du fait qu'ils sont japonais, que le Japon c'est loin et que ce qui s'y fait est assez foncièrement différent de ce qui se fait en Europe ou aux Etats-Unis. Il y a une spécificité japonaise c'est certain, tout aussi certain qu'il existe aussi au sein de la production japonaise de grandes différences.
Ceci étant dit, je crois que dans les années 1990, et même jusqu'à récemment, il y a eu une sorte de dérive, dans la société japonaise et dans le champ de la photographie, elle a été envahie par le phénomène du style journal intime, qui s'accompagnait d'une certaine apathie, le sentiment d'être perdu dans la société, de ne pas savoir où l'on se situe, d'être ostracisé et isolé, avec pour conséquence ce regard très introverti. Il n'y avait pas l'intensité ni l'engagement des générations des décennies 1960 et 1970. J'avais le sentiment que ce mouvement s'essoufflait. Si j'avais à définir cette génération, je dirais qu'elle a su dépasser cela et sortir à nouveau dans le monde. J'ai le sentiment que ce style de narration à la première personne est un peu révolu.


Tu disais qu'il y avait des singularités authentiques. Si tu mets la création japonaise en regard avec l'occidental, quelles seraient ces singularités?
La photographie japonaise se différencie de la photographie européenne sur plusieurs points. La différence primordiale étant pour moi le fait qu'au Japon on ne met pas l'accent sur la dimension conceptuelle d'une œuvre. C'est-à-dire qu'au Japon, on n'exige pas de l'artiste qu'il produise un discours à chaque fois qu'il réalise une œuvre, c'est totalement acceptable de prendre un appareil et de sortir voir le monde. Vous n'avez pas à circonscrire ça dans un propos intellectuel. La façon dont les gens abordent la photographie s'inscrit d'ailleurs souvent dans un cadre émotionnel plutôt qu'intellectuel. En Europe, on ne peut plus prendre de photos d'arbres, de la mer, de cerisiers en fleur sans essuyer un regard condescendant, c'est forcément perçu comme quelque chose de totalement naïf et passé. Dans cette différence, réside je crois une facette fondamentale de la photographie japonaise.

Et puis il y a autre chose, qui n'est pas nécessairement propre au Japon, mais plus le fait d'une génération : jusqu'à récemment il y avait cette dichotomie entre la photographie analogue et la photographie digitale, une dichotomie entre une certaine manière d'aborder la photographie, de faire ses propres tirages et une approche digitale qui serait elle froide, clinique. Je crois que la nouvelle génération ne considère pas ces deux approches comme deux entités ennemies ou séparées, il n'ont pas à choisir entre l'un ou l'autre. Quelqu'un comme Daisuke Yokota par exemple peut utiliser les deux pour dépasser l'un et l'autre et construire encore autre chose. Ils sont devenus photographes à un moment où ces deux options étaient disponibles simultanément. Cela conduit à de nouvelles approches, ils nourrissent leur désir d'expérimenter de tout ce qui est à leur portée pour créer quelque chose de nouveau.


Est-ce qu'il y a selon toi une corrélation entre cet affranchissement vis à vis du concept et le fait que nombre d'entre eux ont un travail très ancré dans la matière, la plasticité de l'image ?
Si tu n'as pas cette nécessité d'une approche conceptuelle, qui je crois peut être dommageable dans bien des circonstances (et je le constate souvent lors de lectures de portfolios, je vois des travaux qui n'ont clairement pas été développés dans une approche conceptuelle et que l'on essaie vainement de faire rentrer dans un cadre conceptuel qui n'a que pour effet de nous distraire du réel propos de l'œuvre), donc si tu n'as pas cette nécessité, et clairement cet impératif n'existe pas dans la photographie japonaise, oui vous avez des travaux qui se concentrent sur la plasticité, sur l'esthétique de l'image, sur la surface. La texture a toujours été importante dans l'expression artistique japonaise. Je ne dirais pas que cette nouvelle génération de photographes est directement influencée par la tradition du raku ou autre mais dans une certaine mesure, oui cela constitue une influence, elle n'est pas patente certes mais elle est bien là, elle ressort d'une autre manière : il n'y a pas cette peur de l'idée de beauté en photographie, c'est encore acceptable de faire des photographies avec cette visée.
En ce moment dans la photographie européenne il y a le sentiment d'une surabondance d'images, la sensation assez largement partagée qu'il y a une certaine futilité à cet exercice d'ajouter encore des images à cette surproduction, c'est sûrement ce même sentiment qui entraîne cette tendance à travailler à partir d'images trouvées, les recycler et se les ré-approprier par découpages, collages etc. Il n'y a pas ce sentiment au Japon, les photographes sont toujours mus par le désir de prendre leur appareil, sortir et photographier les mêmes choses qui ont déjà été photographiées par le passé. On serait bien en peine par exemple de concevoir une version japonaise de l'exposition From Here On (NDLR : qui s'est tenue aux Rencontres d'Arles 2011 et qui abordait ces questions d'images recyclées, anonymes etc. commissariat Clément Chéroux, Erik Kessels, Martin Parr, Joan Fontcuberta, Joachim Schmid.)

Egalement au Japon, il n'y a pas ce même consensus autour de ce que la photographie est /doit être. Il n'y a pas autant de publications ou d'institutions qui définiraient les grands canons de l'image photographique contemporaine, cela laisse les auteurs plus libres de la voie qu'ils veulent emprunter.
Et puis il y a aussi ce phénomène relativement nouveau de collectifs, ce ne sont pas nécessairement des groupes formellement constitués, avec un nom, mais il semble que l'on s'éloigne des temps où le photographe travaillait dans son coin, il y a un désir de se rassembler. On voit des sortes de petites constellations de photographes se former et cette confrontation de manières et d'idées qu'implique le collectif stimule certainement la création.