Qui sont ces visages fantomatiques émergeant de l'obscurité ?Les visages qui apparaissent dans mes photographies sont ceux de passagers du métro, attendant leur train, à la station de la 125e rue à New York. Je les ai enregistrés avec une caméra vidéo – depuis la fenêtre de ma chambre, qui donnait sur le quai – alors qu’ils attendaient seuls, la nuit. J’ai extrait des images de ces rushs, puis j’ai réalisé d’après elles des négatifs papier, à partir desquels enfin, j’ai fait un tirage argentique.
Les visages dépeints sont des figures isolées, privées de leur environnement et même de leur corps. Les capturant incognito, vous vous tenez dans une position très lointaine par rapport à vos sujets. Diriez-vous que cet état d’isolement est emblématique de la vie en ville, spécialement dans une ville telle que New York ?La part la plus intéressante de ce travail était cette opportunité d’observer des gens, dans un endroit public s’il en est comme le métro, alors qu’ils étaient seuls, ou plutôt se croyaient seuls. L’état d’isolement dont le sujet fait l’expérience, et sa réaction face à ce sentiment, se lit dans ses expressions faciales, que j’ai, à mon tour, isolées. Il y a de nombreux degrés de séparation dans ces images : entre moi et le sujet, entre le sujet et son environnement, entre l’image vidéo initiale et la photographie finale, autant de degrés qui parlent aussi de la séparation et de l’isolement que l’on ressent à vivre dans une ville comme New York.
Vous avez fixé ces personnes dans un moment rare – celui de l’oubli de soi face au monde, celui de l’introspection. Définiriez-vous ces images comme des portraits ?Je ne qualifierais pas ces images de portraits au sens traditionnel. À travers le processus d’élaboration de l’image, les visages se déforment, se brouillent ; parfois, ils sont tellement dépourvus de détails qu’ils en deviennent méconnaissables. Cette série n’est donc pas une série de portraits individuels, mais plutôt de portraits de sentiments, d’expressions et de gestes, tous universels.
Dans un sens, vos images reflètent un double paradoxe : d’une part, elles sont d’une extrême richesse picturale, alors qu’elles proviennent d’un médium – la vidéo – d’une définition et d’une qualité pauvre ; d’autre part, elles suggèrent un sentiment d’intimité avec ces visages, alors que le métro est le lieu de l’anonymat.Pour moi, ces images sont comme des mémentos. Alors que je n’ai effectivement aucune idée de qui sont ces personnes, j’ai cependant le sentiment d’avoir partagé avec elles un moment dans le temps, qui a laissé sur moi une « empreinte » durable. Ce sentiment se reflète dans la façon dont les images se sont matérialisées, processus qui contribue selon moi à souligner la beauté et l’intrigue contenues dans chacun de ces mystérieux visages.
Édition limitée, numérotée et signée par l’artiste.