Comment êtes-vous venu à photographier exclusivement de nuit ?L' idée de photographier la nuit est venue tout à fait fortuitement. Cela s'est fait du côté d'Annecy, sur une montagne que je connaissais enfant, où la nature a fait un très beau travail d'érosion. Je me suis mis à travailler sur ce plateau rocheux, je l'ai vécu comme une sorte de retraite monacale, c'était le retour au désert : j'ai planté ma tente, et je suis resté plus d'un mois à faire ces prises de vues. Au bout de quelques jours, j'avais épuisé la réserve de littérature que j'avais emmené, les soirées étaient un peu longues, je me suis mis à me balader avec une lampe de poche. Et là j'ai vu que tout ce que je photographiais de jour, je pouvais le revisiter de nuit sans avoir la dépendance de cette lumière solaire que je recherchais, que j'attendais, pour avoir les ombres désirées. C'est comme ça que j'ai fait les premières photos de nuit, avec pour seul outil, la lampe de camping, puisque je n'avais prévu aucun matériel pour cela. Il n'y avait aucune intentionnalité initiale, mais plutôt l'émerveillement et la stupeur de découvrir ces possibles. Ce qui m'a encouragé à continuer au fil des années, a été le fait de réaliser que je pouvais re-photographier tout ce qui avait été photographié jusqu'à maintenant, toutes choses sur lesquelles les photographes se répétaient et s'épuisaient, et en faire une chose neuve.
Longtemps vos photographies de nuit étaient en noir et blanc, puis vous êtes passé à la couleur, celle-ci devenant votre matière première. Pourquoi ce passage ? A-t-il changé votre rapport au paysage ? Dans mes photographies de nuit en noir et blanc, mon geste était très visible, je dessinais avec la lampe, les traits étaient très marqués. Et j'ai ressenti le besoin de donner plus de place à l'espace, à la profondeur, et ce désir appelait la couleur et des interventions beaucoup moins ponctuelles du tracé lumineux. La couleur me permettait ce travail d'interprétation du paysage. Le passage du noir et blanc à la couleur a été dans ma pratique, celui du dessin à la peinture. Ma manière s'inscrit en quelque sorte dans la tradition de la peinture : les peintres de la Renaissance utilisaient un fond monochrome, la grisaille, je travaille de même avec un fond, qui est l'obscurité de la nuit. Sur cette base neutre, j'amène les éléments, en transparence, couleur par couleur, avec ma palette de gélatines et mes "pinceaux torches".
Comment procédez-vous lors de vos prises de vue ? Je fais un repérage de jour, je prépare mon cadrage, avec le même boitier, la même focale. J'examine mon image de repérage et, avant la prise de vue, je décide des couleurs que je vais utiliser. Je dispose d'une palette double, disons triple, constituée de gélatines, des films transparents que j'appose sur mes torches, provenant du monde du théâtre, du cinéma, et du quotidien (tous les papiers de bonbons, de protège cahiers etc). Très peu de choses se décident pendant la prise de vue.
Avez-vous une équipe pour vous accompagner ?Il est toujours préférable d'être deux. À Marcoussis, où j'ai réalisé une résidence d'artiste - une des 2 photographies sélectionnées en est issue - j'ai demandé à ce que les habitants intéressés puissent participer aux prises de vues : il y avait parfois dix, quinze personnes autour de moi. Je demande aux gens d'appuyer sur le déclencheur, les consulte sur un effet que je suis en train de créer, par exemple un contrejour, dont je ne peux voir le résultat puisque je suis dans la scène. Je suis toujours dans l'image, jamais en dehors du cadre, je me balade dedans, en mouvement constant, pour que mon fantôme n'apparaisse pas à l'image. Le jeu est intéressant, d'être toujours dans l'image, ça a un petit côté chamanique ! Ce rituel avec la lumière, cette gestuelle induit un rapport à une certaine spiritualité et donc toute photo faite avec cette technique s'inscrit dans cette spiritualité disons, laïque.
Vous avez photographié l'urbain mais c'est la nature qui occupe la majeure partie de votre travail. Ici aussi, c'est elle que vous retrouvez. L'urbain présente une difficulté qu'il faut contourner, c'est la lumière ambiante. Elle est en concurrence avec ce que je fais, il a fallu que je trouve des solutions techniques, afin que la puissance de ma lampe parvienne à contrebalancer celle de l'éclairage public. L'utilisation du numérique me permet, par des systèmes de double exposition, d'éliminer plus facilement l'éclairage d'ambiance pour ne garder que mon intervention lumineuse. Pour
Yuccas, j'ai du procéder ainsi car on est en pleine ville, à Pachuca, pas très loin de la ville de Mexico, et il y a ces éclairages au sodium qui donnent au ciel des tons rougeâtres, orangés. Ce sont deux états de nature qui sont photographiés dans ces images récentes,
Yuccas et
Cabane de Marcoussis. Dans
Yuccas, il y a ces formes quasi animales, très étranges, un peu inquiétantes mais sympathiques quand même. Ils sont comme une famille, c'est ce clan qui m'a interpellé. Dans la cabane de Marcoussis, il y a la rencontre du chaos et de l'organisation. Des arbres qui ont été culbutés, qui forment un grand mikado de branches que des gosses ont ramassé pour en faire une cabane. C'est l'intelligence humaine, et peut-être animale aussi, qui du chaos, fait un tas. Le côté mikado explique ce choix de couleurs, il y a un jeu de complémentarité dans les couleurs et les contrastes.
Pour évoquer ces paysages, vous utilisez parfois le mot "scène"... Quand je fais une image, je pense à cette condensation qu'il peut y avoir dans l'ouverture d'un opéra, tant dans la musique que dans la scénographie, le décor. L'ouverture ne doit pas dévoiler les clés de l'action mais doit déjà nous plonger dans ses mystères et nous en suggérer le climat. A la fois, il y a tout sans que rien ne soit donné.
Édition limitée, numérotée et signée par l’artiste.